On 19-20 March 2014 in Strasbourg the 1195th meeting of the Committee of Ministers of the Council of Europe took place. One of the items on the agenda was the issue of the situation in Ukraine regarding an attempt of Russian Federation to annex part of Ukrainian territory.
Monsieur le Secrétaire Général,
Madame la Secrétaire Générale Adjointe,
Monsieur le Président, Chers Collègues,
I. Préface
Tout ce qui pouvait arriver – arriva !
Le soit disant référendum a eu lieu avec les chiffres de participation et des résultats aussi faux que hallucinants.
Le lendemain le Parlement de la Crimée proclame officiellement son indépendance et demande son rattachement à la Russie.
Le jour-même le Président Poutine sans tarder signe le Décret par lequel il reconnaît la République de Crimée en tant que l’Etat souverain et indépendant.
Le jour après, le Président russe signe l’accord avec les leadeurs autoproclamés de Crimée, en vertu duquel la péninsule pourra s’intégrer dans la Fédération de la Russie.
Échec et mat. A l’Ukraine, à l’Europe, au monde entier…
Mes félicitations : annexion parfaite est accomplie !
Il y a un seul problème : l’annexion comme n’importe quel crime, ne peut pas être parfaite. C’est un acte illicite, grave et punissable conformément au droit international contemporain.
Il entraine la responsabilité internationale de l’Etat-agresseur ainsi que la responsabilité pénale des personnes physiques coupables d’un tel crime.
Les poursuites ne sont pas encore entamées. Aujourd’hui on se limite par des sanctions politiques et économiques. Mais les exemples historiques m’inspirent :
En 1931 quand le Japon militariste a annexé la province chinoise de Mandchourie, personne n’aurait jamais cru que ça finirait par le Tribunal de Tokyo, mais la justice a été rendue.
En 1935 quand l’Italie fasciste a annexé l’Ethiopie, personne n’aurait jamais cru que ça finirait par sa défaite dans la guerre et par la responsabilité internationale de ses dirigeants, mais la justice a été rendue.
En 1938 quand le Troisième Reich a annexé l’Autriche, personne n’aurait jamais cru que ça finirait par le Tribunal de Nuremberg, mais la justice a été rendue.
Vu ces exemples, je suis convaincu que la justice historique en cas d’annexion de la Crimée sera restaurée et les coupables de ce crime international seront punis.
Maintenant, abordons le sujet.
II. Du référendum
Il est inutile de gaspiller mes forces pour vous prouver l’illégalité de ce plébiscite. Pour le comprendre il suffit de jeter un coup d’œil sur l’avant-projet de l’avis de la Commission de Venise distribué la semaine dernière.
Il est illégal de point de vue du droit constitutionnel car il est en pleine contradiction avec la Constitution de l’Ukraine et la législation nationale.
Il est illégal de point de vue du droit international car le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n'est pas forcément un droit à l’indépendance. Au sein d’un Etat, les peuples ont le droit à l’autodétermination, mais cela ne doit pas remettre en cause l’intégrité de l’Etat.
La Crimée exerçait depuis longtemps son droit à l’autodétermination, car elle avait ses propres instances de gouvernement. Elle possédait une large autonomie au sein de l’Ukraine. Un référendum sur l’indépendance ne pourrait être justifié que si un peuple était clairement opprimé par l’Etat et que la séparation était la seule solution. Ce n’était pas le cas de la Crimée.
Toutefois j’aimerais bien ajouter quelques éléments qui, paraît-il, sont nouveaux pour vous :
D’abord, il faut dire le 14 mars 2014 la Cour Constitutionnelle de l’Ukraine a rendu son jugement par lequel il a statué que le parlement de la Crimée en fixant le référendum sur l’indépendance avait largement dépassé ses pouvoirs. Vu que le parlement de Crimée a commis plusieurs graves violations de la Constitution, la Cour a invalidé sa résolution et interdit de le tenir.
En se guidant par ce jugement, le 15 mars dernier la Verkhovna Rada de l’Ukraine a adopté la résolution par laquelle elle a mis fin par anticipation aux pouvoirs du parlement local de Crimée. Par suite cet organe a perdu toute légitimité.
Néanmoins, les autorités autoproclamées de Crimée ont organisé cette parodie de référendum.
Je me permets d’utiliser cette expression non seulement parce que ce référendum est privé de tout fondement juridique, mais surtout à cause des conditions dans lesquelles il a eu lieu. Pour vous dire que ça ne correspond pas aux critères du Conseil de l’Europe et l’OSCE, c’est ne rien vous dire.
Premièrement, depuis le 26 février la péninsule de Crimée est sous l’occupation militaire de l’armée russe. Sa présence ébranle complétement le caractère démocratique du scrutin.
Deuxièmement, de graves violations de la liberté d’expression et du droit à l’information ont été fixées en Crimée par les ONGs ukrainiennes et internationales. Les journalistes ont été privés de possibilité de couvrir cet événement car on leur a interdit l’accès aux permanences électorales. Plusieurs actes de harcèlement et d’intimidation à des militants et à des journalistes par les forces militaires de facto de la Crimée ont été enregistrés.
Troisièmement, les bulletins de vote pour le référendum en Crimée ont été publiés à l’aide de simples imprimantes de bureau. Sans identificateurs holographiques ou d’autres moyens de protection. Même en absence de tout contrôle, les organisateurs ont imprimé 22% de bulletins de plus. Pourquoi ?
Quatrièmement, comme les registres électoraux de Crimée ont été bloquée en vertu de la décision de la Commission Électorale Centrale de l’Ukraine, les organisateurs du référendum ont permis à tous, qui le souhaitaient, de voter, très probablement plusieurs fois.
Cinquièmement, nous avons beaucoup d’évidence (photos, vidéo, témoignages orales et écrites des participants) qui nous permettent de dire que les personnes de nationalité étrangères, notamment russe, ont été autorisées de participer au référendum.
Sixièmement, vu que l’OSCE, le Conseil de l’Europe, l’Union Européenne ont refusé d’envoyer leurs observateurs officiels, les organisateurs avec le soutien de Moscou ont invités les représentants d’extrême-gauche et d’extrême-droite afin de légitimer les résultats de ce plébiscite. Le Kremlin nous accuse souvent de nationalisme et de fascisme. Dans ce cas je dois dire que tous les nationalistes et fascistes de quatre coins de l’Europe ont été réunis en Crimée afin d’assurer le caractère démocratique di scrutin.
Finalement, compte tenu de tout ce qui précède, que je peux affirmer que le référendum en Crimée n’est pas conforme aux normes démocratiques de base pour la tenue de référendums, y compris celles établies par la Commission de Venise et par le Conseil de l’Europe.
Partant de cette idée, le référendum en Crimée doit être sévèrement condamné par la communauté internationale, et ses résultats ne peuvent pas être reconnus par toutes les nations civilisées. Leur reconnaissance va créer un précédent extrêmement dangereux, permettant par le recours à la force et les manipulations électorales décider le sort des nations et des régions entières. Cette approche constitue une menace pour les valeurs fondamentales européennes, qui sont partagées par les États membres du Conseil de l’Europe.
II. De la déclaration d’indépendance et la reconnaissance internationale
Ce qui est important pour nous aujourd’hui c’est que parmi les États membres du Conseil de l’Europe il y a un Etat qui ignore ostensiblement l’avis de la Commission de Venise concernant le référendum en Crimée.
Du surcroît, il s’en fiche complètement «de grave préoccupation à l’égard de l’intention de tenir un référendum sur le statut de la Crimée non autorisé par l’Ukraine» exprimée par le Comité des Ministre de cette Organisation lors de la séance précédente.
Il s’agit de la Fédération de la Russie.
Sans tarder, sans mener des consultations avec les partenaires européens, par son acte unilatéral la Russie a reconnu les résultats du plébiscite en Crimée. Tout simplement.
Ce qui est de plus, c’est que le Président Poutine, sans se poser trop de questions, a immédiatement reconnu la République de Crimée comme Etat souverain et indépendant et signé un accord sur le rattachement de la Crimée à la Russie avec les nouveaux dirigeants pro-russes de la péninsule.
L’Ukraine proteste vigoureusement contre la décision prise par la Russie de reconnaître l’indépendance de la Crimée.
On condamne ce rattachement avec la plus grande fermeté en tant qu’un acte d’annexion.
On insiste que cette annexion constitue une violation du Statut des Nations-Unies et de tous les traités internationaux garantissant l’intégrité territoriale et l’unité de l’Ukraine.
De plus cette annexion constitue une violation du Statut et des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe, ainsi que des engagements pris par la Russie envers l’Organisation.
Comme l’a déclaré Anne Brasseur, Présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans son communiqué «Le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des autres États s’impose à l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe».
Vu le caractère complétement illégal de cette situation provenant d’un usage illicite de la force, l’Ukraine s’adresse aux Etats membres du Conseil de l’Europe avec la demande de ne pas reconnaître soit nommé la République de Crimée comme Etat souverain et indépendant.
Nous demandons également de ne pas reconnaître son rattachement à la Russie, de ne pas accepter que cette situation illégale soit opposable aux Etats membres du Conseil de l’Europe.
Selon la norme coutumière du droit international général, les Etats qui reconnaissent une entité étatique issue d’une action illicite commettent eux-mêmes un acte contraire au droit international. L’Ukraine vous demande de ne pas être complice de ce crime.
Compte tenu des références de la Russie à l’avis consultatif de la Cour International de la Justice relatif au Kosovo pour justifier la légitimité de la Déclaration d’Indépendance de la Crimée et sa sécession de l’Ukraine, je dois dire ce qui suit.
C’est vrai que dans cet avis la Cour a établi que l’adoption de la déclaration d’indépendance de Kosovo n’a violé ni le cadre constitutionnel ni aucune règle applicable du droit international.
En même temps la Cour n’a pas précisé les conséquences juridiques de l’adoption de cette déclaration et ne s’est pas prononcée sur la question de la conformité de la sécession unilatérale de Kosovo au droit international.
Vu que ces questions nous préoccupent aujourd’hui, je propose de charger le CAHDI de donner son évaluation de la situation en Crimée et fournir l’avis juridique sur la question de la conformité de la sécession unilatérale de Crimée au droit international.
Pour conclure. Juste quelques heures après la signature de l’accord sur l’annexion de la Crimée, le premier et, en toute évidence pas le dernier, soldat ukrainien a été tué par les troupes russes lors de la prise d’assaut d’une caserne. A suivre…
Merci de votre attention.
1195e réunion du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe,